Pouvez-vous présenter votre parcours personnel et vos travaux ?
Je suis née et j’ai grandi en Iran. En 1979, j’étais une étudiante très active dans un groupe de la gauche radicale et indépendante. J’ai participé à la révolution antidictatoriale iranienne. Puis, j’ai rapidement fait partie de celles et ceux qui se sont opposés à l’arrivée des islamistes au pouvoir. Pour cette raison, j’ai été poursuivie par la police politique du nouveau régime. J’ai été contrainte à l’exil et j’ai trouvé refuge en France en 1982.
Dès mon arrivée, j’ai commencé à écrire des nouvelles en persan. Elles ont été publiées dans des revues et par éditions iraniennes en exil. Je n’ai jamais cessé d’écrire. En 2005, une partie de mes nouvelles ont été traduites en français sous le titre Chemins et brouillard (Métropolis, 2005). Et en septembre dernier, j’ai publié mon premier roman, Demande au miroir (L’Âge d’Homme, 2015). Depuis quelques années, j’écris aussi des poèmes bilingues.
Parallèlement, j’ai repris mes études universitaires jusqu’à l’obtention d’un doctorat en sociologie. J’ai mené de front mon travail dans la formation et la recherche-action, mes travaux d’écriture et mes activités militantes. L’ensemble tisse une sorte de constellation entre réflexion, action et écriture.
En tant qu’essayiste, j’ai écrit plusieurs ouvrages sur les causes et les conséquences politiques et sociales de l’idéologisation de l’islam, notamment au regard de la situation des femmes, des rapports sociaux de sexe et de la répression totalitaire des libertés. Je cherche à élucider les mécanismes de développement des mouvements politiques fondés sur l’instrumentalisation du religieux dans le monde actuel. J’argumente ainsi la nécessité de la laïcité pour le développement de l’égalité, de la liberté et de la solidarité.
Mes ouvrages écrits en français sont traduits en persan. Je maintiens ainsi le dialogue avec les Iraniens qui peuvent me lire sur internet ou se procurer mes livres sous le manteau en Iran.
Je soutiens ardemment les mouvements pour les droits humains et la liberté des femmes en France, en Iran et ailleurs.
Comment en êtes-vous venue au féminisme ?
Ma prise de conscience féministe résulte de la violente gifle que les femmes iraniennes ont reçu lors de l’arrivée des islamistes au pouvoir. A l’instar des jeunes de gauche, j’ai d’abord porté un regard empathique envers les islamistes que je rencontrais dans le milieu universitaire. Une dizaine d’années avant la révolution, ils étaient devenus assez visibles dans les lycées et les universités. A nos yeux, ils étaient avant tout des militants antidictatoriaux et anti-impérialistes. Lorsqu’ils ont pris le pouvoir, j’ai découvert la nature misogyne de leur projet, affirmée par l’obligation du port du voile pour les femmes au travail et dans l’espace public. Cette mesure s’est poursuivie par l’instauration de la charia qui sacralise l’infériorisation des femmes sous prétexte de la complémentarité des sexes.
Ce choc m’a conduite à une réflexion sur le rôle central du sexisme dans l’idéologie islamiste, et au-delà dans divers mouvements politico-religieux identitaires, qu’ils soient chrétiens, juifs ou autres.
Quel lien faites-vous entre votre action de militante et votre travail d’écrivaine ?
L’écriture s’est imposée à moi comme une nécessité existentielle. Je suis venue à l’écriture pour répondre à des interrogations qui me hantaient et qui provenaient de mon face à face et de mon corps à corps avec le monde.
Si ce monde me satisfaisait, je n’écrirais sans doute pas. Et je ne serais sans doute pas engagée dans la défense des droits humains. Cette insatisfaction fait le lien entre l’écriture, travail solitaire, et la contribution à l’action collective. Elle fait aussi le lien entre les différentes formes d’écriture que je développe : les essais et la littérature. Explorer le monde, l’élucider, le réinventer et le recréer.
La thématique de la semaine du féminisme organisée par les Jeunes Communistes d’Ille-et-Vilaine sera « Féminisme et Internationalisme ». Dans quel état d’esprit abordez-vous cette conférence ?
L’évolution actuelle du monde nous confronte à de graves défis identitaires. Le développement des mouvements néoconservateurs, ici et ailleurs, mobilisent les identités (nationales, culturelles, ethniques, religieuses, etc.) dans l’objectif de promouvoir un ordre moral répressif, de nature misogyne et homophobe. Ces défis se posent tout autant aux pays occidentaux qu’aux pays dits du Sud. En face, les résistances et les revendications féministes sont multiples et variées. Les analyser permet d’approfondir la réflexion sur les controverses qui traversent les débats féministes sur l’universalisme et les particularismes identitaires (le féminisme dit « blanc », « islamique », etc.).