Contribution au colloque « La laïcité : une force et un bouclier pour les femmes »,
organisé par l’association Regards de Femmes, le 13 octobre 2014, à l’occasion de la 4e quinzaine de l’égalité femmes-hommes (Lyon)
Laïcité et égalité des sexes : les enjeux actuels
Depuis la révolution iranienne de 1979 et la victoire des islamistes, le monde connaît un développement multiforme de l’islamisme dans ses différentes versions, radicales ou libérales. Ces mouvements qui idéologisent l’islam, se croisent sur la projection d’un ordre sexué, colonne vertébrale de leur projet politique visant à l’instauration d’une « oumma » (communauté musulmane) sur laquelle ils régneraient. La cellule de base de cet ordre autoritaire est la famille patriarcale fondée sur la division sexuée des rôles dont l’obligation du port du voile pour les femmes est l’emblème. La gestion des rapports sociaux de sexe se trouve ainsi au cœur des projets islamistes de toutes tendances.
Ce souci et cet intérêt dépassent largement les mouvements islamistes et se retrouvent dans les mouvements politiques basés sur l’idéologisation du christianisme qui présentent, eux aussi, diverses tendances plus ou moins radicales ou libérales. Des événements récents en Espagne (autour du droit à l’avortement) et en France (à propos du mariage pour tous et de l’éducation à l’égalité des sexes à l’Ecole) en sont des exemples significatifs. L’alliance entre les intégristes chrétiens et les islamistes a été fort visible lors de ces événements.
Ces faits démontrent avant tout que le retour actuel du religieux dans la politique n’est pas le seul fait des pays dits islamiques, mais un phénomène d’époque. Et cela nous renseigne sur les paradoxes de notre temps : nous vivons l’avancée des valeurs universelles et nous nous éloignons de plus en plus des affirmations culturalistes et ethnocentristes, tout en assistant à une montée visible des mouvements identitaires fondés sur l’exacerbation des identités nationales, ethniques, religieuses, etc. Ces phénomènes s’expliquent par des causes multiples, parmi lesquelles : une mondialisation basée sur la marchandisation, le développement d’une crise sociale et politique, parallèlement aux déceptions dues aux échecs des expériences qui promettaient la justice et la liberté. Dans ce contexte, l’offre des mouvements politico-idéologiques attire, car elle répond à la recherche de sens et au besoin de sécurité pour celles et ceux qui se trouvent en perte de repère.
Dans ce contexte, les propagandes des néoconservateurs identitaires progressent en instrumentalisant les peurs et les fantasmes sur l’identité sexuelle. Leur leitmotiv sur l’indifférenciation des sexes, source d’un désordre moral qui disloquerait les liens familiaux, n’est d’ailleurs pas inédit. N’est-il pas agité, sous diverses formes, à chaque fois que les droits des femmes sont des sujets de bataille ? En effet, bien au-delà des droits sexuels, l’accès des femmes à l’éducation et aux droits sociopolitiques réveille, régulièrement, chez ces opposants, des préoccupations d’ordre moral et social qui riment avec un autoritarisme répressif dans lequel l’autonomie créatrice des individus est ignorée et bafouée.
Les ruses discursives
Le développement actuel des mouvements politico-religieux s’accompagne d’un renouveau discursif où les notions démocratiques ne sont pas attaquées frontalement, mais instrumentalisées et détournées pour servir des causes anti-démocratiques. Ainsi, la lutte contre les droits sexuels est menée au nom des droits des enfants et/ou du respect de la diversité culturelle et cultuelle. Les femmes ne se doivent-elles pas d’être les éternelles gardiennes des traditions héritées ? La famille n’est-elle pas le lieu privilégié de la transmission ?
Au-delà de la diversité de leurs tendances, ces mouvements fantasment tous sur une famille uniforme, solidement établie sur une division sexuée des rôles. C’est ce rêve patriarcal qui fonde l’alliance entre les intégristes chrétiens et les islamismes dans leur lutte contre la liberté des femmes, l’égalité des sexes et les droits des personnes homosexuelles. Quant à leur manipulation de la notion de diversité, ils procèdent à une double simplification : le culturel est réduit au cultuel et l’appartenance cultuelle devient le ciment de l’identité individuelle et collective. Ils ouvrent ainsi une brèche pour réintroduire la religion comme source de la Loi commune.
Par ailleurs, le thème de la dignité est aussi manipulé par ces mouvements idéologico-religieux qui se revendiquent comme les défenseurs de la dignité des femmes en s’opposant à une libération sexuelle qui n’aurait été qu’une source de dislocation des liens familiaux et du développement de la prostitution. Enfin, ils instrumentalisent et manipulent les notions de liberté et de liberté de choisir au profit de leurs idéaux.
Il est clair, donc, que la bataille contre l’égalité rejoint le combat contre la laïcité. Face à ce défi de taille, nous devons nous demander si une pédagogie de l’égalité peut se penser sans tenir compte des enjeux liés à la laïcité ?
Les droits des femmes et la laïcité : les défis actuels
Dès lors que les néoconservateurs de la droite extrême instrumentalisent la laïcité à des fins racistes et xénophobes, nous nous retrouvons dans l’urgence d’une praxis laïque, antisexiste et antiraciste. Le mouvement lepéniste brandit le drapeau d’une laïcité qui serait l’apanage d’une civilisation chrétienne menacée par l’islamisation. Ainsi, les vieux thèmes racistes revêtent des habits tout neufs et prennent des allures présentables. Ce discours devient de plus en plus attractif, car les avancées visibles de l’islamisme inquiètent la population. Les constats des acteurs locaux en témoignent : le développement des comportements encourageant les logiques de non-mixité et de ségrégation sexiste ; la propagande en faveur du voile comme signe de pudeur ; les affaires de burqa ; le refus de la mixité dans les loisirs et les séjours sportifs pour les jeunes filles au nom du respect des règles religieuses ; le rejet de la science sur les questions liées à la sexualité sous le même prétexte, etc.
Pour répondre à ces défis, les défenseurs de l’égalité des sexes, de la liberté des femmes et des droits humains universels doivent articuler intelligemment la défense de la laïcité et la lutte contre le sexisme, et réfléchir au développement de discours et d’actions qui allient la promotion de la laïcité à la lutte antisexiste et au combat contre le racisme, les idéologies politico-religieuses de toute obédience et les diverses formes de communautarismes (notamment le communautarisme d’extrême-droite). Enfin, il est essentiel de développer des actions éducatives auprès des jeunes allant dans ce sens, non seulement pour leur faire prendre conscience des dangers des mouvements idéologico-religieux, mais aussi pour les encourager à s’engager en tant qu’acteurs de l’égalité et de la liberté.
Chahla Chafiq
Sociologue, écrivaine