Le Monde Festival : L’islam et les femmes, entre fantasmes et réalités

Faut-il se focaliser sur la forme ou sur le fond ? Les quatre femmes qui ont participé, samedi 17 septembre, à la table ronde sur l’islam et les femmes, organisée à l’Opéra-Bastille dans le cadre du Monde Festival, ont un objectif commun : parvenir à ce que, dans l’islam, les femmes soient libres et égales aux hommes en droits. Mais toutes ne s’entendent pas sur la manière d’y arriver.

Dans un auditorium comble, les écrivaines Chahla Chafiq et Asma Lamrabet, la psychanalyste Houria Abdelouahed, et la chercheuse Inès Safi ont commencé par répondre à la question : « Le Coran est-il misogyne ? » Première à prendre la parole, Asma Lamrabet porte un foulard rose qui recouvre en partie ses cheveux bruns. Pour elle, l’émancipation passe par la réforme. L’écrivaine considère que sa religion n’est pas misogyne par essence, mais en raison de l’interprétation qu’en ont faite les hommes.

« On a sacralisé une interprétation des textes, que nos théologiens ne sont pas encore prêts à remettre en question. »

Une vision que ne partage pas la psychanalyste Houria Abdelouahed, qui se réjouit au passage que ce matin « les femmes parlent des femmes », alors que trop souvent les hommes s’expriment en leur nom. Contrairement à Asma Lamrabet, elle juge que le Coran est « extrêmement misogyne ». Elle fait notamment référence à un verset qui autorise le mari à battre sa femme, ainsi qu’à l’âge d’une des femmes du prophète, Aïcha, 6 ou 7 ans au moment de son mariage. Asma Lamrabet la reprend : des études historiographiques établissent qu’en réalité son âge serait plus proche des 17 ou 18 ans. « Dire qu’Aïcha avait 7 ans est une aberration. »

 

 

Un débat éminemment politique

A leur droite, l’écrivaine iranienne exilée en France Chahla Chafiq a une tout autre lecture. « Le débat sur l’émancipation des femmes est éminemment politique » et ne peut se focaliser sur l’interprétation des textes, estime-t-elle.

« On peut démontrer par A + B que le Coran est misogyne et, à l’inverse, on peut démontrer par A + B qu’il ne l’est pas. Mais quand l’islam devient la loi, la dimension politique ne peut être négligée. »

Surtout, Chahla Chafiq estime que réinterpréter les textes n’aura pas l’effet escompté, car ces nouvelles interprétations pourront toujours être instrumentalisées. « Je respecte les luttes de toutes les femmes, mais pensez-vous une minute qu’établir le fait historique qu’Aïcha n’avait pas 7 ans lorsqu’elle s’est mariée » va mettre un terme aux mariages forcés ? « En Iran, j’ai vu comment les islamistes ont contextualisé l’islam révolutionnaire, poursuit-elle. Ils ont accepté qu’Aïcha ait 17 ans, mais ça n’a pas amélioré » les droits des femmes pour autant.

Pour « sortir du piège identitaire », Chahla Chafiq prône l’individualisation des discours. « Il faut déconstruire les clichés sur les pays arabes ou musulmans. » En guise d’exemple, elle raconte qu’en Iran, sa mère n’a jamais porté le voile et que sa grand-mère l’en a dissuadé quand elle a voulu l’imiter à 11 ans. Pourtant, dans les esprits, l’image de la femme iranienne est souvent drapée d’un voile noir.

Pragmatisme et regard contemplatif

Pragmatique, Asma Lamrabet, qui vit au Maroc, « où la religion est incontournable », se justifie de décortiquer le Coran dans le but d’en déconstruire les lectures misogynes.

« Je suis obligée de m’appuyer sur le Coran pour répondre aux hommes qui me disent que je n’ai pas le droit de participer à une conférence. »
A mi-chemin entre ces réflexions, Inès Safi offre un quatrième regard, qu’elle qualifie de « contemplatif ». Chercheuse au CNRS en physique théorique et musulmane pratiquante, elle ne voit aucune contradiction entre les différentes facettes de son identité et refuse de rationaliser sa foi.

« Le Coran n’est pas un mode d’emploi, c’est pour moi une source d’inspiration. »

La table ronde s’est toutefois achevée sur un point d’accord, et pas des moindres, à en juger par les mines du public reflétant l’approbation. Toutes condamnent l’islam politique, trop souvent utilisé comme levier pour entraver les velléités d’égalité des femmes. Houria Abdelouahed note qu’à l’époque du prophète, « il y avait des femmes qui voulaient être libres. Mais, à chaque fois, le texte-loi était là pour juguler cette volonté. »

Dans un registre plus spirituel, Asma Lamrabet est tout aussi catégorique. « On ne peut que ne pas être d’accord avec l’islam politique qui a ruiné l’éthique et la spiritualité » de sa religion. Elle estime que la laïcité est le seul cadre à même de « protéger [s]a religion ».

« L’islam a besoin d’espace démocratique et de réformes », dit-elle en guise de conclusion. Le public applaudit chaleureusement.

Par Elvire Camus

Publié dans Le Monde