Le totalitarisme voit sa fin quand le peuple ne supporte plus de vivre dans le mensonge

Dans son discours attendu pour la prière collective du vendredi 20 juin, après 5 jours de manifestations massives contre les fraudes électorales, l’ayatollah Khamenei, Guide suprême religieux, ordonne au peuple de cesser ses protestations dans les rues et, encouragé par les cris du peuple Hezbollah, le menace de sévères représailles, en cas de poursuite des contestations.

Il en attribue la responsabilité aux candidats rivaux d’Ahamadinéjad qui continuent à demander l’annulation des résultats de l’élection et à déclarer illégal le gouvernement d’Ahmadinéjad. Des lettres ouvertes abondent de tous cotés, signées par des intellectuels, des artistes et des autorités religieuses ou politico-religieuses. Toutes parlent des droits bafoués du peuple iranien. Certaines entendent par là les droits du peuple à se déterminer, alors que d’autres insistent sur le fait que Khamenei a outrepassé sa fonction de guide et interrogent sa légitimité. Ainsi, à l’apogée de la guerre des tendances au sein du pouvoir, certaines analyses disent que celle-ci traduit la tentation des conservateurs d’annihiler la République islamique au profit d’un gouvernement islamique tout court.

Or, la loi constitutionnelle islamique ne donne-t-elle pas justement cet arbitraire absolu au Guide suprême religieux ? La dimension républicaine n’est-elle pas annihilée par la suprématie du religieux dans l’Etat ?
Force est constater que le système du Vali-y-e Faghih (règne du Guide suprême religieux) mis en place par les islamistes qui ont conquis l’hégémonie lors de la révolution anti-dictatoriale de 1979, établit un pouvoir totalitaire. Le Conseil des Gardiens de la révolution qui présélectionne les candidats à l’élection présidentielle est composé de 12 membres : 6 faghih (clergé), nommés par le Guide Suprême, et 6 juristes présentés par le pouvoir judiciaire dont le chef est aussi nommé par le Guide religieux Suprême. Une fois élu, le président de la République peut encore être révoqué par ce dernier. Selon la loi constitutionnelle, les décisions du Parlement doivent également être approuvées par le Conseil des Gardiens qui veille sur la concordance des lois et des décrets avec les principes islamiques. Le peuple vote donc dans un cadre tracé par les lois divines qui devrait garantir son unité salutaire.

Cette logique fondée sur l’idéologisation de l’Islam rime avec la terreur et fait tourner, depuis trente ans, la roue d’exclusion qui n’a épargné ni l’opposition ni les alliés au sein du pouvoir. Rappelons l’exclusion brutale de Bani Sadr, premier président de la République islamique en 1981, qui s’exila par la suite en France. S’alliant aux Moudjahiddines du peuple, il appela à une grande manifestation qui fut sévèrement réprimée. D’autres forces de l’opposition dont les groupes de gauche qui mobilisaient des milliers de personnes dans les rues, furent aussi violemment réprimés dans l’indifférence générale, notamment du monde occidental. A l’époque, la révolution attribuait au régime une légitimée quasi-sacrée et le peuple Hezbollah qui criait par milliers « Mort aux ennemis de la révolution » était tout simplement identifié à l’ensemble du peuple iranien. Cet autre Iran, contestataire, fut étouffé, mais n’était pas pour autant mort. Ainsi, profitant des failles du système qui apparaissent dès la fin des années 80, sur un fond de crise issue de l’échec social et culturel du projet islamiste, la société civile , privée des moyens d’organisation, trouve de nouvelles voies d’expression. Les mouvements de cette société ne sont pas underground, comme dans le cas des totalitarismes de l’Est. La résistance iranienne se manifeste très visiblement aux yeux de la société : des femmes qui, en dépit des sanctions quotidiennes, rendent dérisoire le port obligatoire du voile par leur « mauvais voile » comme disent les gouvernants ; les jeunes qui investissent par milliers l’espace Internet et créent des espaces de liberté de parole, alors que le régime réprime la liberté d’expression et ne permet pas la création de partis et de syndicats libres. Les mouvements sociaux se développent. Les étudiants, les ouvriers, les enseignants protestent sous diverses formes. Les journalistes défenseurs des libertés essayent par tous les moyens de franchir les lignes rouges établis par le régime. En 2006, le lancement de la campagne « Un million de signatures pour l’abolition de toutes les lois discriminatoires envers les femmes », en se référant aux conventions internationales dont l’Iran est signataire, marque une forme inédite de lutte dans un contexte où l’Etat qualifie le féminisme de délit. La société civile démontre ainsi sa capacité de création de marges de lutte dans un contexte d’étouffement qui s’est aggravé depuis l’arrivée de Ahmadinéjad en 2005.

Cette élection a signé l’échec flagrant du réformisme islamiste qui, né à la fin des années 80, lorsque le peuple Hezbollah se divisait face à la montée de la corruption, de l’injustice sociale et des maux sociaux, se confronte à son tour à l’impasse du système. La victoire d’Ahmadinéjad en 2009, hors les fraudes qui l’ont rendue possible, résulte de l’impasse d’un réformisme qui plaide pour le changement tout en soutenant le cadre idéologique du régime. Néanmoins, après les années encore plus noires de la présidence d’Ahmadinéjad, les promesses de changement des candidats présélectionnés par le Conseil des Gardiens, revêtent un nouvel élan, mobilisent le peuple, et font apparaître la profondeur de la crise du système. Le peuple défie ouvertement le système en revendiquant le changement dans un contexte où les Etats-Unis d’Obama incitent les réformistes au sein de pouvoir à reprendre leur élan. Face à un Etat armé jusqu’aux dents, le peuple contestataire trouve une voie d’action, frayée par le haut, mais il pousse en même temps les réformistes à aller plus loin.
Les forces armées sont appelées à réprimer la résistance populaire. Si la lutte se poursuit et qu’aux manifestations de rue s’ajoutent des grèves et d’autres formes de contestation, les forces de l’ordre dont les pasdarans et les bassidjis, verront aussi des scissions dans leur rang. Dans tous les cas, même si la répression l’emporte, l’Iran ne sera plus le même qu’avant cette expression massive du pouvoir des sans-pouvoirs.

Vaclav Havel disait que le pouvoir totalitaire voit sa fin quand le peuple ne supporte plus de vivre dans le mensonge. Aujourd’hui, la voix unie du peuple iranien contre le mensonge électoral témoigne d’une étape franchie dans la lutte pour la liberté.

Chahla Chafiq