De nouveaux plans de massacres djihadistes en France, sans armes à feu, mettent en scène l’imagination funeste de leurs auteurs. Leur monstruosité interroge sur l’état psychique des assassins. Des données sur l’auteur du massacre de Nice révèlent un homme fortement perturbé et facilement violent. Il apparaît aussi qu’il ne respectait pas les interdits religieux et semblait donner libre cours à ses désirs sexuels sans se soucier du licite et de l’illicite. Ce n’est que récemment que ses propos ont trahi une tendance islamiste.
Surgit alors, dans la bouche des experts et des responsables politiques, la notion de « radicalisation rapide ». Il s’est ensuite avéré que l’attentat de Nice a été préparé, et que son auteur a profité du soutien de complices. La folie de l’homme violent n’a donc eu aucun mal à être partagée. C’est aussi le cas de l’assassin du prêtre Jacques Hamel. Décrit comme un jeune assez troublé et très influençable, d’après ce que nous savons, il a imaginé et mis en œuvre son plan à l’aide de personnes qui l’ont inspiré et orienté, des personnes qu’il n’a pas rencontrées que sur Internet.
Supposons qu’un examen psychologique atteste que les auteurs de ces attentats étaient des psychopathes aux fantasmes meurtriers, faudrait-il pour autant oublier que ces assassins ont trouvé, dans le djihadisme, le contenu, le guide et le soutien effectif (virtuel et non virtuel) pour mettre en œuvre leurs fantasmes ? La folie meurtrière qui imprègne leurs actes doit-elle dissimuler la rationalité fascisante de l’idéologie qui les nourrit ?
Le fil rouge qui relie, depuis deux ans, les parcours des terroristes en France est leur entrée dans le djihadisme. Il est essentiel de ne pas omettre un autre fait : le promoteur, le gardien et le garant du djihadisme ne sont autres que l’idéologie islamiste. En programmant l’idéal politique d’une société fondée par l’islam, cette idéologie donne sens et forme au djihadisme. La personne qui adhère à l’islamisme – dans tous ses versants, plus ou moins radicaux – entre dans un djihad pour défendre les valeurs dites sacrées.
Un ordre totalitaire
Ces valeurs, censées préserver la charia, préconisent un ordre totalitaire où la liberté des individus, leur autonomie et l’égalité des droits – dont les droits des femmes et les droits sexuels – sont perçues comme une menace pour la cohésion sacrée de l’oumma. Dès lors, une double division s’opère : celle qui différencie les musulmans des non-musulmans ; et celle qui distingue les « vrais musulmans », à savoir les défenseurs de l’ordre islamiste, de ceux qui ne veulent pas se soumettre à l’ordre islamiste. Catégorisés comme « faux musulmans », « égarés du droit chemin » ou « alliés des ennemis », ces derniers constituent des ennemis intérieurs.
Le djihad permanent contre ces ennemis extérieurs et intérieurs est au cœur du projet islamiste, et le formatage des membres de la « société islamiste idéale » s’effectue par la désignation de ces ennemis. L’« Occident », par ses principes démocratiques, séculiers et laïques, constitue l’ennemi principal, le grand satan à combattre et à abattre. A des fins de djihad éducatif, la propagande islamiste confond colonialisme, impérialisme et racisme d’une part, et valeurs démocratiques d’autre part ; liberté sexuelle et prostitution. De plus, elle tire profit des guerres passées et actuelles, depuis les croisades jusqu’au conflit israélo-palestinien, pour répandre des suspicions haineuses envers les institutions et les populations « occidentales ».
A l’appui de cette propagande, l’offre idéologico-politique islamiste exacerbe, chez ses adhérents, la fierté d’être porteurs d’une vérité sacrée, d’être les représentants de Dieu sur terre, de défendre les musulmans dominés par l’« Occident ». Ce sentiment de fierté, qui soumet l’individu à un ordre sacré dont il devient l’instrument, lui octroie aussi le pouvoir de soumettre les autres. L’opération kamikaze djihadiste constitue l’apogée morbide de cette logique fascisante, inhérente à l’idéologie islamiste.
La « guerre des religions »
Cette logique donne à la terreur une place centrale dans le projet islamiste. Les stratégies et les moyens employés pour le djihad islamiste changent selon la tendance des meneurs et les contextes. Mais, avant l’émergence de l’organisation Etat islamique, la terreur islamiste a engendré, dans des pays aussi divers que l’Iran, l’Algérie et l’Afghanistan, des atrocités similaires à ce que nous vivons ces dernières années en France. Ici comme ailleurs, les musulmans comptent parmi les victimes des islamistes. Et cela à double titre : en tant que citoyens, mais aussi du fait de la montée du racisme qui propage, par les soins de l’extrême droite, la confusion entre musulman et islamiste. L’islamisme comme l’extrême droite projettent une « guerre des civilisations », en ravivant la « guerre des religions ».
L’analyse approfondie des parcours des djihadistes, en France et au-delà, ne peut se faire en oubliant la dimension politico-idéologique du phénomène islamiste. Les concepts comme « radicalisation rapide » ou « loup solitaire » font fi de cette analyse. Ils réduisent la lutte contre le djihadisme à une confrontation contre des gangsters. Dès lors, seule la voie sécuritaire apparaît comme valable, condamnant à l’impuissance les autres acteurs sociaux qui ont pourtant un rôle important à jouer pour contrer la propagande islamiste. La défense et le développement des valeurs démocratiques et laïques ne peuvent avancer sans une action quotidienne et continue de tous les acteurs, qu’ils soient travailleurs sociaux, éducateurs, enseignants, militants associatifs, etc.
Chahla Chafiq est écrivaine et sociologue. Elle interviendra lors de la table ronde « Femmes et islam » du Monde Festival, du 16 au 19 septembre.
Publié dans Le Monde