Tout près de chez moi, il y a un passage et à son entrée un arbre dont le généreux feuillage offre aux oiseaux un repaire, à l’abri des regards, où ils chantent à leur gré, en toute insouciance. Dans les derniers jours de l’hiver, même si le ciel fronce ses sourcils, leurs chants guillerets annoncent la douce saison. Si vous venez d’Iran et que, pour vous, Farvardin, le premier mois du printemps, et Norouz, le Nouvel An, ont conservé leur sens, vous en ressentirez une profonde gratitude. Pour la simple raison que, dans la belle ville de Paris, le printemps n’est jamais à l’heure. Si, aux prémices de la saison, vous vous rendez au Parc Monceau dans l’espoir d’y plonger dans les couleurs magiques, éternisées par Monet au XIXe siècle, grande sera votre déception. C’est qu’il faudra encore du temps pour que Paris revête ses plus belles robes et ses chapeaux colorés, pour que le printemps chatoyant descende délicatement sur la ville. De Norouz, vous ne verrez nulle part le moindre signe. J’entends, des signes palpables, car il y a bien ces messages que je reçois par les réseaux sociaux, l’autre espace de ma vie, qui me rappellent incessamment le décompte des jours, des heures et des minutes. Mais en ville, rien pour accueillir le Nouvel An. Nulle trace de grands ménages de printemps dans les maisons ; nulle abondance de jasmin ou de petits aquariums de poissons rouges dans les magasins.
Vous comprenez maintenant l’infinie reconnaissance que je ressens pour cet arbre qui vit tout près de chez moi. Dans les jours précédant Norouz, je passe devant lui et le salue longuement. Vous ne me croirez peut-être pas, mais il me répond, avec grâce et ardeur, à la faveur du bec des oiseaux. Aujourd’hui, quand je lui ai dit que nous changerions d’année mais aussi de siècle, passant résolument au XVe, un joyeux brouhaha jaillit de son cœur. Qui sait, peut-être les oiseaux avaient-ils appris de chants lointains que l’autre XIVe siècle avait bercé Hafez en son sein, offrant à l’Iran sa poésie et l’art de préserver à jamais son esprit rebelle, son élan d’amour et de liberté, y compris aux pires moments d’un pouvoir corrompu, y compris malgré les cheikhs menteurs ? Du cœur de l’arbre, retentissait une mélodie si gaie que même les passants les plus pressés ralentissaient le pas et prêtaient l’oreille, un instant, à ces chants merveilleux. Qui sait, peut-être les oiseaux chantaient-ils Hafez et l’un de ses ghazals ?
Chahla Chafiq
Printemps 2021
Publié par Pro/p(r)ose magazine