Entretien avec Chahla Chafiq
Terriennes : Nasrin Sotoudeh a déjà fait des grèves de la faim. Comment s’est terminée celle qu’elle avait entamée en mars dernier ?
Chahla Chafiq : C’était déjà pour dénoncer la situation des prisonniers face au Covid, une question dont la gestion par les autorités iraniennes a donné lieu à beaucoup de mensonges. Plusieurs prisonniers politiques avaient alors entamé une grève de la faim. Et puis à l’occasion du nouvel an iranien, qui commence le 21 mars et s’étend sur plusieurs jours, ils ont décidé d’y mettre fin. Pour le moral des prisonniers, ils ont jugé que c’était important de marquer ce moment. La célébration de cette fête, qui n’est pas du tout religieuse, est, en soi, devenue un acte de résistance culturelle. Depuis mars, la situation n’a pas changé. Puis des prisonniers ont été exécutés, dont le lutteur Navid Afkari, alors Nasrin Sotoudeh a recommencé.
Et avant ?
L’histoire est longue des grèves de la faim de Nasrin Sotoudeh. D’octobre à décembre 2012, elle a fait 49 jours de grève de la faim pour dénoncer la confiscation du passeport de sa fille Mehravé (qui avait 13 ans à l’époque); ce fut un bras de fer très dur, dont elle est sortie victorieuse. En décembre 2018, elle a recommencé une grève de quelques jours pour protester contre l’arrestation de son mari, Reza Khadan, jusqu’à ce qu’il soit relâché. A chaque fois qu’elle a fait une grève de la faim, Nasrin Sotoudeh était en prison. C’était son seul moyen d’action contre les pressions exercées par les autorités. Elle a fini par avoir gain de cause, du moins les deux premières fois, mais à chaque fois sa santé en prend un coup.
Avez-vous des précisions sur son état de santé actuellement ?
Après 46 jours sans s’alimenter, son état de santé s’est dégradé et elle a été hospitalisée. A son retour en prison, elle a brisé sa grève de la faim. Elle est très affaiblie, son mari est très inquiet. C’est lui qui donne de ses nouvelles par écrit aux Iraniens, des nouvelles qui parviennent à la diaspora via les réseaux sociaux et les médias extérieurs. Il sait ce qu’elle représente pour toutes les prisonnières et tous les prisonniers en Iran. Il la soutient totalement : « Nous préférons mourir ensemble que nous taire, » dit-il. Ses enfants, tous deux jeunes adultes, la soutiennent aussi beaucoup, comme les familles de tous les prisonniers politiques, d’ailleurs.
Que représente-t-elle ?
Elle est un symbole. Je ne la connais pas personnellement, mais c’est tout comme. C’est une femme qui a toujours défendu des positions justes. Elle est très importante. Il ne faut pas qu’elle meurt. C’est pourquoi nous appelons à sa libération. Nous sommes plusieurs femmes actives pour le droit des Iraniennes – écrivaines, artistes, universitaires et responsables associatives – à avoir eu l’ idée de lancer cet appel, pour nous faire le porte-voix de ses revendications.
En quoi consiste sa revendication, concrètement ?
Elle demande que soient libérés les malades, les prisonniers politiques fragilisés, dont la situation est très inquiétante. Cette demande s’inscrit dans le contexte iranien de gestion, ou plutôt de l’absence de gestion, de la pandémie de Covid, avec jusqu’à 60 personnes dans un espace restreint sans aucune prévention de la maladie.
Nous espérons au moins que, parmi les prisonniers politiques, les plus fragiles soient libérés immédiatement et que leur situation soit connue, à savoir l’absence de procès équitable, des conditions de détention indignes, des exécutions sommaires… Depuis le début de la crise sanitaire, les autorités iraniennes ont déjà libéré plusieurs prisonniers économiques. Elles ne peuvent pas dire pas le contraire. C’est une négociation possible. Certains prisonniers politiques à la santé très fragile ont même déjà purgé leur peine ou déjà accompli une part importante de leur peine et auraient le droit d’être libérés. Alors pourquoi les garde-t-on en prison ? Pour qu’ils meurent ?
Chacun de nous dans la société civile a le pouvoir d’agir sur les décisions politiques. D’où l’importance de la pétition du Conseil national des barreaux français qui, pour le moment, a recueilli 500 000 signatures.
Ce que je sais, c’est que la stratégie des autorités est de pousser les opposants à l’exil. Des milliers de prisonniers politiques ont été exécutés dans les années 1980 et 1990. Mais maintenant la société civile, aussi, résiste. Je crois que Nasrin Sotoudeh restera jusqu’à la dernière extrémité.