Le persan, ma langue maternelle, ne connaît pas de règles grammaticales relatives au féminin et au masculin : l’adjectif, l’article et le pronom n’existent qu’au neutre. Mais, rassurez-vous, dans cette belle langue qui berce une magnifique poésie, il existe des phénomènes langagiers qui reflètent et propagent tout autant le sexisme et la domination masculine. Et la littérature persane, si belle soit-elle, n’est pas vaccinée contre la misogynie.
Je ne pense pas que le seul changement des règles grammaticales puisse mettre fin à une culture misogyne. Celle-ci se nourrit, nous le savons, du sexisme qui se produit et se reproduit dans les rapports sociaux qui sont en dernière analyse des rapports du pouvoir. Cependant, quand les règles grammaticales traduisent et soutiennent clairement une hiérarchisation sexuée, il est important de les faire évoluer, de trouver des alternatives pour agir symboliquement sur la construction et la propagation des clichés sexistes.
Je ne crois pas que la littérature ait un sexe. Je pense au contraire qu’écrire, créer des personnages de tout genre, permet de s’affranchir du sexe qui nous est assigné à la naissance. Toute action qui permet de libérer la langue de la primauté du masculin sur le féminin, nous aide dans cette émancipation.
La découverte de la pétition « Que les hommes et les femmes soient belles ! »m’a ramenée à mes premières années d’exil, au début des années 1980, lorsque j’ai commencé à écrire en français pour vaincre l’agonie qui menaçait mon âme. En effet, l’exil confirmait l’échec de mes idéaux, m’imposait une séparation brutale de tout ce que j’aimais et me confrontait à maintes questions existentielles : pourquoi mes rêves de liberté et de justice avaient-ils abouti à tel cauchemar ? Qu’avions-nous fait ou pas pour aboutir à la mise en place d’un régime islamiste en Iran ? J’avais pris le chemin de l’exil pour échapper à la prison et la hantise des interrogations restées sans réponse, comme un cercle vicieux, se présentait comme une autre prison dont je fabriquais moi-même les barreaux.
M’ouvrir à une autre langue a été une solution miraculeuse. Cette ouverture fut, pour moi, double : entrée dans la littérature et entrée dans la langue française. J’ai commencé à écrire des nouvelles en persan et j’ai entamé un travail d’étude et de réflexion en français sur l’expérience iranienne.
A travers mes nouvelles j’inventais des histoires mi-réelles, mi-fictives, ce qui me mettait à l’abri d’une réalité ô combien douloureuse. Et pour mon travail de recherche, écrire en français devenait un moyen magique de me mettre à distance, techniquement et intellectuellement. Ce fut une rencontre salvatrice. Moi qui souffrais d’être coupée de mes racines affectives et langagières, je me suis tournée vers cette langue comme vers une voie de liberté. L’image de la France fusionnait d’ailleurs, pour moi, jeune iranienne de gauche, avec les mots de liberté et d’égalité, eux-mêmes inspirés par les images de la Révolution française et de mai 68.
Je me revois alors m’arrachant les cheveux devant cette règle inégalitaire qui prône la primauté du masculin sur le féminin. Je questionnais mes enseignant-e-s sur le fondement et l’utilité de cette logique que je n’arrivais pas à assimiler. Je n’ai eu aucune réponse convaincante et j’ai finalement abandonné mes questionnements. Mais j’ai eu tort. C’est pourquoi j’y reviens aujourd’hui en soutenant cette pétition et en espérant vivement qu’elle parviendra à ses fins de liberté.
Chahla Chafiq – Intervention le 25 mai 2011 lors d’un débat à la Mairie du 12e arrondissement organisé par L’égalité, c’est pas sorcier !
Poème écrit pour illustrer la règle de proximité
Adieu
Par un beau jour de printemps, le brouillard croisa une femme, tôt le matin, dans un jardin.
A la rencontre du brouillard, la femme se serra dans son grand châle noir !
Regardez la douce dame ! dit le brouillard.
Regardez les arbres et les fleurs printanières qui se réveillent !
Voyez comme elles s’étirent vers moi avec joie !
Elles savent que je ne durerai pas !
Une petite heure seulement ! Et le soleil reviendra !
La femme soupira, ouvrit son grand châle noir et prit le brouillard dans ses bras !
Les baisers frais du brouillard rattrapèrent ses larmes chaudes
Et ensemble, elles coulèrent, sur ses lèvres tremblantes d’un baiser d’adieu.
Chahla Chafiq