Clara Magazine : Emprisonnement de Nasrin Sotoudeh, avocate féministe

Nasrin Sotoudeh, avocate iranienne connue pour son engagement en faveur des droits humains et la liberté des femmes, se voit aujourd’hui infliger une lourde peine par le « Tribunal de la révolution » : 38,5 ans de prison et 148 coups de fouet. Ce tribunal, mis en place par la République islamique, traite aussi bien les affaires de trafic de drogues et d’armes que les affaires considérées comme portant atteinte au régime, à la sûreté du pays et à l’ordre public. Les crimes qu’il reproche à Nasrin Sotoudeh en disent long sur le régime islamique et l’ordre qui en découle. En effet, c’est pour avoir défendu des prisonnier·es politiques, ainsi que des femmes qui se dévoilent dans l’espace public, pour ne pas avoir elle-même respecté l’obligation du port du voile, que Nasrin Sotoudeh a été reconnue coupable, le 11 mars dernier, d’atteinte à la sûreté nationale et à l’ordre public, de propagande mensongère en vue d’affaiblir le régime et d’incitation à la débauche et à la prostitution.[1]

Que signifie au juste tout cela ? Comment peut-on inculper et enfermer une avocate pour avoir exercé son métier ? D’où vient cette absurde accusation d’incitation à la prostitution pour avoir défendu des femmes arrêtées lors de protestations civiques ?

Cette affaire dramatique révèle simplement le caractère totalitaire de la répression exercée par le régime islamiste depuis son instauration (1979), une répression qui cible tous les domaines de la vie sociale et individuelle, qui s’étend à la fois à l’espace privé et public. À la source de ce système se trouve la transformation de la religion en idéologie, en projet social et en ciment de la Loi. Dans cette logique, les tenants du pouvoir s’estiment les délégués de dieu sur terre et les gardiens de l’ordre sacré. De ce fait, toute personne qui n’adhère pas à leur projet est vue comme une « égarée du chemin de dieu » ; toute personne qui proteste activement contre leur projet est renvoyée au rang des ennemi·es de dieu. Jugeant ces « ennemi·es », le « tribunal de la révolution » se dresse, quant à lui, en défenseur de dieu face aux allié·es du diable ; pour leur part, les avocat·es de la défense sont d’emblée soupçonné·es de complicité. C’est ainsi que Nasrin Sotoudeh se trouve aujourd’hui en prison, à l’instar d’autres de ses collègues ayant également défendu des résistant·es à l’ordre islamiste

Par son caractère fortement patriarcal, cet ordre érige le voile des femmes en drapeau politique et en emblème du système moral qu’il impose. Ne pas se voiler devient alors synonyme d’absence de moralité. C’est pourquoi les femmes non voilées sont accusées de prostitution. Et dès l’instant où Nasrin Sotoudeh assume d’apparaître sans voile et qu’elle assure la défense de femmes qui protestent contre l’obligation du port du voile en se dévoilant dans l’espace public, elle s’expose aussi à des accusations d’incitation à la débauche et à la prostitution.

Les actions des femmes qui se dévoilent dans l’espace public s’inscrivent dans la longue histoire du « mauvais voile » (port non correct du voile), phénomène qui n’a cessé de défier le régime dès ses premiers jours. La figure lumineuse de Nasrin Sotoudeh représente cette résistance multiforme qui exprime, encore et toujours, le refus de l’ordre répressif prôné par la République islamique au nom de dieu.

Chahla Chafiq

[1] Pour en savoir plus, voir la page de soutien à Nasrin Sotoudeh : https://www.facebook.com/soutiennasrinsotoudeh

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