L’Humanité : Les « mercredis blancs » en Iran. Les filles de la « révolution »

Les mouvements du foulard blanc, rythmés par une jeune femme sans voile, debout sur une armoire électrique d’un trottoir de Téhéran, pourrait bien être une performance symbolique. L’action se passe dans une rue qui porte le nom de « Révolution ». Sans qu’il s’agisse de cela, l’harmonie des gestes de sa main leur donne l’aspect d’une danse. Le foulard n’est plus un foulard ; il se mue en un drapeau blanc et en une aile d’oiseau. Un chant de liberté et de paix.

Bien que l’action se passe fin décembre, avant l’éclosion des contestations populaires qui vont ébranler plusieurs villes iraniennes en janvier, la diffusion de la photo fait de Vida Movahed une des icônes de ces contestations. La révélation de la date et du nom de la femme, désormais surnommée la « Fille de la rue de la Révolution », ne parviendra pas à effacer cette dimension iconique.

Pourquoi ? La réponse se trouve dans la réalité éprouvée durant des décennies de pouvoir islamiste en Iran : le voile des femmes constitue pour l’idéologie islamiste un étendard politique. En 1979, un des premiers actes de Khomeiny, après sa prise de pouvoir, est d’appeler les femmes à porter le voile dans les lieux de travail. Les Iraniennes protestent massivement. Mais les troupes islamistes écrasent ces contestations auxquelles les acteurs politiques opposés au régime de Khomeiny n’apportent pas un soutien actif, considérant la question du voile des femmes comme socialement et politiquement secondaire.

Erreur de jugement fatale, comme le prouve ce qui se passe ensuite. L’imposition du port du voile, qui va s’étendre à tous les lieux publics, installe la religion comme une idéologie et un programme politique. Le double caractère régressif et répressif de ce plan ne tarde pas à se mettre en scène : le respect de l’islam va justifier le piétinement des droits humains, la censure de toute expression libre et la sacralisation des violences et des discriminations. La ségrégation entre les musulmans et les autres est légitimée. L’athéisme est banni, la laïcité n’a pas droit de cité et les minorités religieuses, des zoroastriens aux juifs, en passant par les chrétiens, sont surveillées et réprimées, pendant que les bahaïs sont privés de tout droit. Quant au sexisme et à l’homophobie, l’instauration de la charia les justifie et les soutient. Le pouvoir islamiste range par ailleurs les musulman-e-s qui n’adhèrent pas à son idéologie parmi les égarés du droit chemin. En se proclamant le représentant du « véritable islam », le régime assimile toute opposition à l’œuvre des « ennemis de dieu », méritant de ce fait une répression implacable.

Dans ce contexte, la République islamique d’Iran étouffe continuellement les actions et revendications des ouvriers, des enseignants, des étudiants et des lycéens,… tout comme elle réprime divers peuples qui font pourtant partie intégrante de la mosaïque du peuple iranien (Kurdes, Arabes, Baloutches,…). Les femmes, présentes dans ces catégories, subissent les mêmes méfaits sociopolitiques et culturels que les hommes, mais elles sont aussi discriminées « parce que femmes » et donc doublement réprimées.

À ce sujet, il est essentiel de saisir le rôle central de la hiérarchisation sexuée dans le projet islamiste d’une « société musulmane véritable » qui s’appuie sur le fantasme d’une oumma unifiée sous la loi divine. La cellule de base de cette « oumma » est la « famille islamique » dont la supériorité de l’homme-chef-mari-père sur la femme-fille-épouse-mère fait écho à la suprématie de dieu sur les humains, les islamistes s’octroyant une place intermédiaire de délégués de dieu sur terre. Une sorte de ruissellement du pouvoir du haut vers le bas… Le contrôle de la sexualité des femmes va de pair avec une division sexuée de l’espace et la non-mixité avec la soumission du peuple aux dirigeants. Et le voile symbolise tout le dispositif, d’où l’insistance des islamistes sur le voilement des femmes. La République islamique mobilise maintes mesures de propagande, de contrôle et de répression pour faire « respecter » le voile. Sans parvenir à faire reculer la résistance des Iraniennes au voile obligatoire.

L’ampleur du phénomène du « mauvais voile » (porté de manière non conforme) en est un exemple. Les châtiments prévus et exercés n’y font rien. Les chiffres officiels de la police, en 2007, rapportent l’arrestation de 14 000 Iraniennes dans le pays et l’arrestation journalière de 150 femmes à Téhéran. Ces chiffres renseignent en même temps sur un autre fait : l’imposition du voile légitime l’omniprésence de la police islamiste dans tous les espaces publics.

Face à cela, dans la continuité de la campagne « Libertés furtives » (lancée par Massih Ali Néjad, jeune journaliste iranienne exilée), la campagne des « Mercredis blancs » débute en 2016 : chaque mercredi, des femmes descendent dans la rue avec un foulard, un sac ou un vêtement de couleur blanche (emblème de la non-violence) pour dire non au voile obligatoire.

Avec l’arrestation et la détention provisoire de Vida Movahed, d’autres femmes ont repris son geste partout en Iran, faisant naître la campagne « Filles de la rue de la Révolution ». Et les hommes défenseurs des droits et des libertés les ont rejointes. La couleur du foulard varie, mais le message reste le même : dire non au voile pour réclamer la liberté et l’égalité, indissociables de la fin de la tyrannie exercée au nom du divin.

Chahla Chafiq

L’Humanité