Les révoltes populaires qui ébranlent aujourd’hui les pays dits arabo-musulman, poussent au-devant de la scène les revendications de liberté, de justice sociale et de démocratie.
Elles balaient d’un coup toutes les théorisations sur la guerre des civilisations et tous les clichés culturalistes selon lesquels la démocratie ne serait porteuse que de valeurs occidentales. Auparavant, en juin 2009, la révolte des Iranien(ne)s – réprimée, mais persistante sous d’autres formes avait fait la démonstration de l’indéniable existence de désir de droits démocratiques au sein d’un pays où les islamistes ont emporté la révolution antidictatoriale de 1979 par la promesse faite au peuple de réaliser une alternative inédite et authentique au modèle de la démocratie dite occidentale et au modèle soviétique : une République islamique qui articulerait les lois et les valeurs religieuses et les institutions démocratiques.
Il n’en a résulté qu’un système qui a fait du religieux le fondement d’une terreur totalitaire dans l’objectif de formater une société vraiment islamique. La répression sexiste se trouve au cœur de ce projet. En effet, l’instauration de cet ordre politico-religieux exige la consolidation de la hiérarchie sexuelle soutenue, notamment, par le Code de la famille patriarcale qui favorise la soumission des citoyen(ne)s à un ordre supposé divin dont les gouvernants seraient les délégués. Aussi, bien que les revendications de liberté et de justice sociale aient aussi été présentes dans la révolution iranienne, l’absence d’une prise de conscience et d’une lutte pour l’égalité des sexes et la liberté des femmes a mené les révolutionnaires à l’échec. Cette leçon iranienne n’est pas anecdotique. Elle renseigne sur une dialectique qui, bien que souvent ignorée, est fondamentale pour l’évolution démocratique : le lien entre démocratie, égalité des sexes et liberté des femmes.
N’est-il pas vrai qu’en Occident même, où les idéaux démocratiques ont progressé et fait leurs preuves, la lutte pour les droits des femmes a été et reste un levier fondamental pour l’approfondissement de la démocratie ? N’oublions pas que la lutte féministe a été nécessaire au développement des idéaux de la Révolution française qui a porté l’élan de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, tout en excluant les femmes de la citoyenneté sous des prétextes naturalistes et culturalistes. La démocratie ne peut en effet se réaliser qu’en reconnaissant les femmes comme des citoyennes égales, autonomes et libres. La lutte féministe permet ainsi de rendre réelles les valeurs formelles de l’égalité et de la liberté affichées par la démocratie. Cette lutte se poursuit encore aujourd’hui en France. Elle est aussi de plus en plus visible en Iran, où de jeunes féministes ont lancé en 2006 une campagne « Un million de signatures pour l’abrogation des lois discriminatoires envers les femmes ». Tout comme les mouvements des étudiants, des enseignants et des ouvriers, les féministes iraniennes subissent une répression sans relâche. Pourtant, leur lutte est de plus en plus visible en Iran, où la question des droits des femmes se situe au centre du combat pour la démocratie. Ce n’est pas par hasard si les gouvernants identifient le féminisme comme l’un des ennemis les plus dangereux de l’ordre dominant.
Chahla Chafiq
Source : L’Humanité