Jeudi 10 décembre 2009, à l’occasion du 104e anniversaire de la loi de 1905, le Cercle Condorcet de Seine-Saint-Denis organisait une conférence-débat lors de laquelle l’écrivaine Chahla Chafiq a insisté sur le lien indissociable entre la laïcité et les droits des femmes.
Dites-nous ce que représente pour vous la laïcité et en quoi elle est une question d’actualité.
En 1905, la laïcité a émancipé le champ sociopolitique français de l’emprise de l’institution religieuse catholique. Aujourd’hui, la laïcité est d’autant plus nécessaire que nous vivons dans une société multiculturelle où les individus sont porteurs de diverses croyances. Dans ce contexte, la laïcité pose un principe fédérateur qui préserve la liberté de conscience et l’égalité de tous et toutes devant la loi. Elle nous fait réfléchir à ce qui est commun, au-delà des croyances individuelles. Elle nous permet de vivre ensemble et en paix. Elle est donc indispensable au développement d’une citoyenneté démocratique.
De plus, la démobilisation actuelle vis-à-vis des idéaux humanistes créé un vide idéologique dont le religieux s’empare. A cela s’joute que la mondialisation génère un important besoin d’ancrage. Comment répondre à la fois à ces enjeux identitaires et au rapprochement des cultures ?
La question est difficile et ce sont, pour le moment, les mouvements politico-religieux qui bénéficient de ce vide sociopolitique et de cette fragilisation des individus en recherche d’identité. C’est pourquoi, avec la montée de ces mouvements, la fonction sociopolitique de la laïcité au regard de la citoyenneté se révèle d’une importance capitale.
Pour être à la hauteur des enjeux et faire face aux attaques anti-démocratiques de ces mouvements, le principe laïque doit être approprié par les citoyen/nes, faute de quoi il sera contourné et mis à mal au profit du développement des ségrégations et de la montée des extrêmes. Dans notre pratique laïque, nous devons aussi nous renouveler chaque jour, en fonction des contextes et des enjeux existants. Sans cela, la laïcité n’est perçue que comme une règle érigée par les uns contre les autres.
Quel rapport faites-vous entre la laïcité et les droits des femmes ?
La laïcité n’a, certes, pas immédiatement donné lieu à la reconnaissance de la liberté des femmes ni à de l’égalité des sexes. Le droit de vote n’a été obtenu qu’en 1945 ; le droit pour les femmes mariées de disposer d’un chéquier personnel sans l’autorisation de leur mari en 1968 ; le divorce par consentement en 1975. La maîtrise de leur corps par les femmes a aussi demandé des luttes acharnées qui se poursuivent encore aujourd’hui. Car, si les acquis, dans les sociétés démocratiques, existent bel et bien, ils peuvent être soumis à d’importants reculs. D’où la nécessité de se battre pour les conserver et les étendre.
Dans le processus de ces luttes, la séparation entre l’Eglise et l’Etat a ouvert le champ de la démocratie et grandement profité à l’évolution des rapports sociaux de sexe. En effet, la désacralisation des lois qui s’est traduite par la reconnaissance des citoyen/nes en tant que destinataires, mais aussi acteurs des lois, est un pilier essentiel à la promotion de l’autonomie. Or, l’autonomie est centrale pour tout projet démocratique.
Nos propos sont ici abstraits et concrètement, c’est à travers des combats quotidiens pour passer du formel au réel que la démocratie se réalise. Les luttes féministes pour la liberté et l’égalité ont aussi progressé dans cette dynamique.
A contrario, à chaque fois que la religion est institutionnalisée sous forme d’une loi commandant ses règles à la société tout entière, les droits des femmes sont bafoués et la domination masculine renforcée. Les exemples ne manquent pas : la sacralisation de la virginité des femmes pour garantir la supériorité des pères géniteurs ; la désignation du corps des femmes comme lieu de péché ; le contrôle de la sexualité des femmes au nom de la préservation de la chasteté de la société, etc.
D’ailleurs, les mouvements politico-religieux font du contrôle des femmes un enjeu fort de leur développement sous prétexte d’instaurer des repères moraux dans un monde « amoral ». Le contrôle des femmes se justifie par ce retour à l’ordre moral et offre ainsi aux hommes un lieu de pouvoir. Quant aux femmes, ces mouvements promettent à la sécurité à celles qui rentrent dans les rangs. Un exemple intéressant en est donné par l’adoption du voile comme moyen de protection et de séduction.
Dans d’autres cas, ce sont les revendications antiracistes et anticolonialistes qui se trouvent instrumentalisées pour faire du voile une arme de combat. Le voile devient alors le symbole d’une prétendue lutte anti-impérialiste. Le retour au voile doit nous questionner sur les processus sociopolitiques et identitaires en œuvre dans la société française, et ce n’est pas en tout renvoyant au culturel et au cultuel que nous répondrons efficacement à ces questions. Nous avons un réel intérêt à décoder la complexité des situations rencontrées qui imbriquent le culturel et le cultuel au social, au politique et au psychologique.
Qu’attendez-vous des politiques locales dans ce domaine ?
Le tableau des enjeux de la laïcité tel que nous l’avons sommairement dépeint, nous parle du rôle des acteurs sociopolitiques dans la configuration et les orientations des rapports de force qui se développent autour de la séparation du religieux et du politique.
La citoyenneté démocratique ne l’emportera qu’à condition d’être appropriée par les citoyen/nes. Or, dans de nombreux cas, notamment dans les milieux marqués par un vide sociopolitique, il existe des méfiances et des réticences envers la laïcité. Des jeunes et des moins jeunes révoltés par le racisme et les discriminations pensent que la laïcité n’a aucune fonction dans la lutte contre le racisme et les discriminations. Bien au contraire, ils lui reprochent d’être au service du racisme antimusulman.
Les mouvements islamistes et les extrémistes de toutes les religions s’en prennent à la laïcité au nom de la liberté religieuse ou du mérite des modèles communautaristes qui seraient plus adaptés à une société multiculturelle. Parallèlement, des groupes racistes et d’extrême-droite développent une haine envers les musulman/es qui menaceraient l’identité française.
En réalité, les mouvements politico-religieux, communautaristes et racistes se renforcent mutuellement au détriment des droits citoyens.
Face à cette situation, la simple affirmation de la laïcité ne suffit plus. Nous devons désormais travailler autour de la laïcité de manière dynamique en alliant la fermeté des principes laïques à la souplesse de leur application. Ainsi, chaque situation doit être analysée pour ce qu’elle est, sans tomber dans le piège de la catégorisation ethnique des individus en question.
Or, depuis les années 1980, nous assistons à ces catégorisations. On nous parle, par exemple, des « musulmans » comme s’ils constituaient une communauté d’individus interchangeables, alors que nous savons bien qu’il existe au sein de la population ainsi désignée une diversité des pratiques religieuses et du positionnement même face à la religion. A titre personnel, il m’arrive souvent d’être catégorisée comme musulmane et de me trouver face à une proposition de repas sans porc ou sans boisson alcoolisée, simplement parce que je suis originaire d’un pays dit musulman. Pourtant, je ne pratique aucun interdit alimentaire. Ce simple geste en dit long sur les processus en cours qui renvoient des personnes à une identité fondée sur le religieux, alors que l’identité est complexe, multidimensionnelle et en mouvement.
La construction et le renforcement d’une France démocratique dépend grandement des réponses qui seront apportées aux enjeux identitaires qui nous défient.
Le travail autour de la laïcité, dans tous les champs sociaux et culturels, devrait constituer un axe important des réponses à apporter. Pour cela, nous avons besoin de créer une culture commune et des zones d’intérêt commun autour de la démarche laïque et de la mise en place d’une pédagogie active pouvant être appropriée par les habitant/es et les professionnel/les de terrain.
Etant donné que l’égalité des sexes est intimement liée à la séparation du politique et du religieux, les questions liées aux droits des femmes doivent être centrales dans ce travail et c’est à partir d’elles que nous gagnerons ou pas le combat pour la laïcité.
Un discours politique qui centrerait le principe de la laïcité sur la préservation des droits humains, est donc essentiel.
Propos recueillis par Clara Domingues pour unmondeenpartage.fr
Paris, le 20 décembre 2009