Osez le féminisme : Entretien avec Chahla Chafiq

Réalisé par Thalia Breton pour Osez le féminisme !

Est-ce que vous pouvez nous parler du mouvement féministe iranien et de ses différences avec le féminisme en France ?

Cette question est très importante et renvoie à la différenciation du féminisme qui aboutit parfois à des théorisations telles que le « féminisme islamique ». Cette approche suppose l’issue des luttes des femmes, dans les pays dits musulmans, dans le cadre de l’islam. Rappelons qu’en Iran, il y un gouvernement religieux, totalitaire; la domination des femmes est fondatrice de ce système. L’exemple est l’imposition du port du voile à toutes les femmes. Pourtant, le féminisme est une idée universelle : il n’est pas possible de se référer, en matière de féminisme, à un cadre fermé. Or, le religieux est bien un cadre fermé. Les nouvelles générations de féministes iraniennes sont dans une idée d’égalité et de liberté. Elles ne cherchent pas de références dans la religion. La différence fondamentale entre la France et l’Iran est que les féministes iraniennes luttent dans un contexte de répression, ce qui n’est pas le cas en France. Le féminisme en Iran est considéré comme un délit, une déviance vers la culture occidentale. Sur les objectifs, je ne vois pas de différence : seul le contexte politique change.

Dans ce contexte de répression et face à un gouvernement totalitaire comme vous l’avez défini, comment voyez-vous l’avenir des femmes et du combat féministe ?

Les femmes, depuis quelques années, se sont organisées de manière visible : il y a des réseaux de résistance à l’intérieur et à l’extérieur. De plus, nous vivons désormais dans un monde où les nouvelles technologies permettent de contourner la censure, et la nouvelle génération féministe en Iran s’en est emparée. J’ai bien plus d’espoir qu’auparavant car le mouvement féministe est bien visible en Iran. En même temps, le gouvernement est grandement défié par la révolte populaire dont le mot d’ordre est la liberté. Les femmes participent de façon très importante à ce mouvement. Dans l’avenir, je pense que le mouvement féministe se développera et se renforcera de plus en plus. Les revendications des féministes impactent tellement la scène politique que le gouvernement a nommé une ministre femme. Être femme n’empêche pas d’être rétrograde, mais cet acte illustre aussi l’avancée de la question des femmes au sein de la société iranienne.

Que pensez-vous du débat sur l’interdiction de la burqa ?

Il est intéressant de rappeler que les populations dites musulmanes vivent en France depuis plus d’un siècle et que le débat sur le voile à l’école publique laïque n’a surgi qu’en 1989. Aujourd’hui, vingt ans plus tard, la question de la burqa nous renvoie aussi à une forme archaïque des ordres sexués. Ces phénomènes informent, selon moi, sur le développement de l’islamisme en tant qu’idéologisation de l’islam. Cela interroge le retour du religieux dans la politique qui, au-delà de l’islam, est un phénomène mondial actuel. Je pense qu’il est important, à travers le débat sur la burqa, d’expliquer les mécanismes qui favorisent ces phénomènes. Cela permettra à la laïcité de prendre sa place comme valeur commune au profit de l’accès des femmes à la citoyenneté démocratique. On évitera ainsi l’instrumentalisation de ce débat par ceux qui pensent que l’islam n’est pas intégrable, comme par ceux qui affirment que la France n’est pas tolérante. Nous ne pouvons nier que l’islam est instrumentalisé par certains qui en font une idéologie, et par d’autres qui en font un moyen de se démarquer de manière culturelle : les femmes deviennent les gardiennes d’une identité et de l’ordre moral. Tous ces éléments doivent nous amener à travailler sur les multiples dimensions de ce phénomène pour réfléchir de manière plus large au retour du religieux dans le politique et à la place du genre dans ce champ.